Pierre Lamalattie

I Never Wanted You to Leave, 210×180 cm, Oil on canvas 2016

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Pierre Lamalattie

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Markus Akesson, l’attitude du rêve

Suédois d’une quarantaine d’années, il est remarqué en France à la suite de la présentation de ses œuvres par la galerie parisienne Da-End. La facture sobre et la conception contemplative de sa peinture en font un représentant emblématique du renouveau international de la figuration.

Si l’on voulait brosser le portrait type d’un artiste de la nouvelle génération figurative, on pourrait dire quelque chose comme : dans son enfance, il subit un long isolement, peut-être à cause d’une maladie. Il commence à dessiner pour passer le temps, sans contact avec l’extérieur. Il progresse d’année en année. Finalement, lorsqu’il est mis en relation avec les tendances artistiques de son époque, il est déjà beaucoup trop avancé pour entrer dans le moule. C’est à peu près ce qui se produit pour Markus Akesson. Son isolement a cependant ceci de particulier qu’il n’est dû ni à un accident ni à une maladie, mais au fait que son milieu social est totalement imperméable à la culture. Son père, travailleur forestier dans une lointaine province, a d’autres centres d’intérêt. Le jeune Markus se tourne tout naturellement vers la BD. C’est ainsi qu’il prend l’habitude de dessiner ce qu’il y a autour de lui et de regarder des BD, rien d’autre. De là la singularité de cet artiste.

Psychopomp Club, 2013, huile sur toile, 46 × 55 cm © Galerie Da-End et The Room of Life and Death,
2014, huile sur toile, 110 × 200 cm, © Galerie Da-End

Concis et silencieux

Arrivé à l’âge adulte, il trouve un travail de graveur sur cristal dans une manufacture voisine. Il est appliqué, il aime le travail bien fait. Il est apprécié. En parallèle, il développe sa pratique de la peinture à l’huile. Il y met le même soin modeste et presque méticuleux que s’il s’agissait d’inciser le cristal. Il adopte, comme si cela allait de soi, une facture parfaitement sobre et concise. Cela peut surprendre quand le XXe siècle nous a surtout habitués à des accumulations de matières, des gestualités démonstratives et des couleurs forcées. La manière de Markus Akesson est tout le contraire d’un art artificialisé et d’une peinture à effet.

Après avoir travaillé un certain temps dans sa cristallerie, il se risque à montrer ses œuvres personnelles. Ses toiles plaisent tout de suite. Une exposition est organisée dans la foulée. Ça marche bien. Markus Akesson comprend alors que l’art peut être un métier. Cependant, il pense que pour se donner toutes les chances, il doit compléter sa formation artistique. Il s’inscrit donc à des cours du soir municipaux. Ses professeurs, appartenant pour la plupart à la génération moderniste, n’approuvent pas du tout ses choix figuratifs jugés passéistes. Ces progressistes croient que la peinture est sans avenir. Markus persévère pourtant dans sa voie. Il complète ses revenus par des illustrations.

Dans cette période, sa culture s’élargit à grande vitesse. Il découvre l’œuvre d’autres artistes figuratifs comme Lucian Freud, Michaël Borremans ou Jenny Saville. Il retient de ces peintres moins leurs picturalités et matières que le sentiment d’une irrésistible « relégitimisation » de la figuration. Parmi les peintres anciens, il est plus particulièrement sensible à la qualité de silence du Böcklin de L’Île des morts. Il observe aussi beaucoup les préraphaélites. Ces derniers sont remarquables, en particulier, par le fait d’avoir réintroduit le goût des détails dans la peinture. Markus Akesson aime qu’on se perde, qu’on s’oublie dans les détails.

Sleepwalker (Satsuma Jar), 2015 – huile sur toile, 100 × 120 cm, © Galerie Da-End

La simple présence

Cependant, ce qui le marque le plus, ce sont ses lectures. Il a envie que sa peinture raconte ou exprime des choses. L’idée de la narration le passionne. Il aime plus particulièrement ce qui se passe dans le silence et le secret. Il est attiré par ces situations intermédiaires où le rêve et la réalité se confondent en une sorte de vague mystère. Par exemple, il est troublé par l’étrange présence des animaux naturalisés. Il est également fasciné par les motifs qui se développent le long des murs sur les papiers peints. Du coup, pour préparer certaines de ses toiles, il crée lui-même des papiers peints et les édite aussi en tissu pour s’en servir de modèles. Cela lui permet de composer des peintures où les personnages sont habillés dans le même motif que celui du papier peint de la salle où ils se situent. Il en résulte des œuvres où la vie des arborescences du motif prend le pas sur celle des humains immobiles dans la pièce concernée.

Une chose très caractéristique d’Akesson et, au-delà de lui, de la nouvelle figuration, est l’expression – si j’ose dire – inexpressive de ses personnages. Ils ne font rien, ils ne pensent à rien. Ils sont là. Ils flottent dans l’espace-temps. C’est tout ! Ils ont, comme l’écrivait Victor Hugo à propos des chevaliers errants, « l’attitude du rêve ». Étrangers à tout projet, à tout désir, les personnages d’Akesson sont juste en situation de s’imprégner de ce qu’il y a autour d’eux. Akesson relève ainsi d’une sensibilité étonnamment contemplative.

The Room of Life and Death, 2014, huile sur toile, 110 × 200 cm © Galerie Da-End et Psychopomp Club, 2013 , huile sur toile, 46 × 55 cm © Galerie Da-End

Article paru dans Artension, Janvier 2021