Panorama de la jeune peinture figurative à Montpellier
Le MOCO de Montpellier vient de présenter sur ses deux sites un panorama passionnant et très éclectique de la jeune peinture figurative en France. Associant 120 artistes et 350 œuvres, l’exposition permet d’apprécier de beaux talents et de dégager des tendances.

Résistance dans un trou noir
Immortelle est, selon l’expression de Numa Hambursin, directeur général du MOCO, « une exposition de combat ». Les textes qui jalonnent l’exposition donnent un aperçu de l’état d’esprit des artistes et de leur vécu ces dernières décennies. Les institutions artistiques, dont la vocation aurait dû être de soutenir tous les talents, n’ont cessé de discréditer les peintres figuratifs. Beaucoup d’intellectuels contribuent à ce gâchis, faisant alors penser à ceux que Pascal appelait les demi-habiles. Amélie Adamo, co-commissaire, indique qu’il y avait « des intellectuels qui se permettaient de donner des conseils d’atelier, d’ironiser, de moquer, de mettre en doute la légitimité du choix de la peinture […] c’est tout juste incroyable le nombre de gens intelligents qui prétendaient alors sérieusement que la peinture était morte ». Longtemps, en effet, la peinture figurative est dans un « trou noir ». Elle est considérée comme « archaïque, passéiste, réactionnaire ».
Immortelle, exposition sur deux sites, présente d’une part des peintres nés dans les années 1970 qui font figure de « génération résistante » et, d’autre part, de plus jeunes qui profitent d’un contexte moins hostile.
Le grand public et Internet…
Malgré ces difficultés, la peinture figurative bénéficie d’atouts majeurs qui jouent à terme en sa faveur. Le premier est tout simplement qu’elle est aimée du public. « Le public est toujours au rendez-vous, indique Numa Hambursin. Il n’est qu’à voir la manière dont le grand public a renié en bloc tout un pan de cet art contemporain, et ce, malgré toutes les offres de médiation que les institutions se sont évertuées à produire. » Les collectionneurs sont souvent, eux aussi, portés vers des choix moins dogmatiques que ceux des institutions. Le désir est du côté de la figuration.
Le second élément est une prise de liberté, notamment sur Internet. En effet, l’art contemporain est soutenu par une historiographie sélective qui a valeur d’idéologie. Or la pratique des recherches sur Internet affranchit les artistes de la façon dont les musées et les historiens de l’art instillent leur grand récit. En réalité, d’exploration en exploration, les artistes figuratifs inventent empiriquement leur propre histoire de l’art. Numa Hambursin relève qu’en matière d’influence « de manière générale le XIXe l’emporte sur le XXe ».
Minimalisme figuratif
L’exposition présente une grande diversité d’artistes. Certains paraissent en affinité avec les grands mouvements du XXe siècle. Cependant, des tendances se dégagent. C’est le cas en premier lieu de ce que l’on pourrait appeler le minimalisme figuratif. Après l’extrême artificialisation de nombre de peintures au XXe siècle, des artistes aspirent à un art moins bruyant. Ils font penser à ces convalescents qui reprennent goût à la vie en dégustant une simple pomme de terre à l’eau. Ainsi Mireille Blanc présente-elle des vues de gâteaux et Xuteng Chén un verre de boisson rafraîchissante avec ses glaçons. Charles Hascoët brosse sommairement un homme faisant la sieste avec son chat. Oscar Lefebvre et Yves Gobart peignent des fauteuils. Damien Cadio opte quant à lui pour un lit.
Peinture existentielle
Qui dit peinture figurative dit représentation d’un sujet. À cet égard, on note une attention accrue pour les petits moments de l’existence, ceux qui n’ont rien de glorieux ni de notable, mais qui constituent le tissu de nos vies. Bilal Hamdad brosse un homme ordinaire dans un escalier du métro. Adrien Belgrand nous montre une femme penchée sur son smartphone. Fabien Boitard peint une fillette soufflant ses quatre bougies. Sur un mode plus intense, Raphaëlle Ricol imagine un homme étendu en train de rêver. Enfin, Oda Jaune nous livre des fantasmes corporels subtilement malaisants.
Observation et pensée des formes naturelles
Pendant plusieurs siècles la peinture est attentive aux formes réelles, qu’il s’agisse de visages ou de corps, végétaux, animaux, paysages, etc. L’observation et l’étude permettent d’extraire ce qui est essentiel dans une forme, ce qui concentre son caractère, sa poésie. Au XXe siècle, l’autonomie et l’artificialisation de la peinture proscrivent ce genre de pratique. Cependant, des artistes de la nouvelle figuration reprennent le chemin de l’observation des formes. Ainsi en est-il de Simon Pasieka qui livre un magnifique Nachthimmel, forêt nocturne à la fois onirique et réaliste. Romain Ventura concocte une époustouflante Fenêtre à la Panacée avec un méli-mélo végétal dont la virtuosité n’a rien à envier à celle de Sam Szafran.
Picturalité et registrations
Rares sont les artistes auxquels on prend vraiment plaisir sans une musique des formes tenant à la touche, aux matières et textures, etc. Sarah Jérôme mobilise ainsi avec brio des médiums transparents sur du papier calque. Youcef Korichi est maître dans les coups de pinceau expressifs. Ronan Barrot conjugue superbement dépôts râpeux et tracés glissants. C’est sans doute sous ces aspects que les héritages de l’abstraction sont sensibles.
Ce travail sur les matières est souvent renforcé par des juxtaposions de styles différents, comme si un collage était intervenu. Par exemple, Thomas Agrinier amène sur une même toile une variété de registrations : peinture réaliste en modelé, aplats décoratifs, graphs, personnages de comics et incongruités diverses.
Miniatures XXL
Nombre d’artistes semblent inspirés par le modèle des miniatures persanes où fourmillent personnages et détails. Nazanin Pouyandeh met ainsi en scène une dizaine de précieuses qui se disputent dans une cité dévastée dont tous les détails sont précisés avec ingénuité. Julien Beneyton présente des faubourgs grouillant de détails naïfs et plaisants. Matthieu Cherkit imagine des vues d’intérieurs éclatées et multicolores. Marlène Mocquet compose une fantaisie psychédélique intitulée Moi, en champignon atomique en harmonie avec ma mère.
Composition et peinture d’histoire
C’est évidemment avec les grandes compositions multipersonnages que l’on se rapproche le plus de la représentation au sens théâtral et de la peinture d’histoire, le grand genre d’autrefois. Qui dit composition, dit contraste entre grandes masses et recherche d’une unité dynamique sautant aux yeux. Axel Pahlavi et Florence Obrecht s’y essaient avec, parfois, un ténébrisme fleuretant avec le caravagisme. Cependant, c’est surtout Guillaume Bresson, avec ses bagarres de banlieue, qui fait revivre la belle fureur des tumultes baroques.
À feuilleter absolument : Immortelle, la vitalité de la jeune peinture figurative française, Silvana Editoriale




