Chéri Samba, Porte de Namur, porte de l’amour ?,Bruxelles, 2002, photo par Finne Boonen, Attribution ShareAlike 2.5

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Pierre Lamalattie

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Chéri Samba, la peinture à sa source

Quand la peinture peut créer des attroupements

Le musée Maillol présente une cinquantaine de toiles de l’illustre artiste congolais à partir du 17 octobre. C’est l’occasion de prendre la mesure de ce peintre plein de verve et de franchise.

Chéri Samba naît en 1956 dans un village rural au centre du Congo (RDC). Son père est forgeron, sa mère cultivatrice. Il a dix frères et sœurs. À défaut de jouets, il dessine sur le sol ou avec un stylo dans ses cahiers d’écolier. Son géniteur voit cette lubie d’un mauvais œil. « Papa, lui répond Chéri, quand je serai grand, je serai un grand dessinateur et je ferai des voyages. »

Chéri Samba, Porte de Namur, porte de l’amour ?,Bruxelles, 2002, photo par Finne Boonen, Attribution ShareAlike 2.5

Un public populaire précieux

À 16 ans, il part à Kinshasa où il se fait embaucher pour aider à peindre des enseignes, des pubs, etc. Il prend goût aux BD, aux illustrations et aux peintures de rue. Il produit d’ailleurs de petites BD satiriques. À 19 ans, certains clients de son patron l’apprécient personnellement. Ils le suivent quand il ouvre son propre atelier.

Chéri Samba place ses toiles dans la rue, à la vue de tous. Souvent, cela crée des attroupements. Il découvre alors dans les regards et les commentaires des passants l’effet qu’il fait. Cet artiste totalement autodidacte s’appuie sur cette pédagogie directe.

Un certain Jean Pigozzi

À Kinshasa, il devient vite une star. On le reconnaît dans la rue, mais on l’ignore encore dans le reste du monde. Tout change en 1989 quand on organise à Paris l’exposition « Magiciens de la terre ». Cet événement controversé a, au moins, le mérite de montrer des artistes africains contemporains comme Chéri Samba.

Le dernier jour, juste avant la fermeture de la grande halle de la Villette, la chance lui sourit. Un certain Jean Pigozzi est de passage. Ce « philanthrope » est l’héritier de la marque Simca. Il a commencé une collection d’art contemporain avec ces artistes lambda que tout le beau monde a. Il sent qu’il doit se spécialiser. C’est l’occasion. « Je suis sidéré, confie-t-il au sujet de cette exposition. Je vois un art vivant, issu de l’imaginaire des artistes, sans influence de l’Occident, de ses musées, de ses galeries. » Pigozzi rassemble alors la plus grande collection internationale de Chéri Samba et d’art actuel africain. Ce fonds alimentera nombre d’expositions consacrées à ces créateurs.

Peindre ce qu’il aime ou le préoccupe

Les créations de Chéri Samba ne sont pas de celles qui visent un mince public trié sur le volet. Elles s’adressent, au contraire, à tout le monde. Elles brillent par leur verve et leurs couleurs. « J’aime la couleur ! » affirme-t-il, sans risque d’être démenti.

Ce sont aussi des peintures qui nous font partager ce qu’aime ou qui préoccupe son auteur : vie joyeuse et nocturne de Kinshasa, femmes congolaises, ravages des maladies, vicissitudes du développement, guerres sans fin, actualité du monde, regard des Occidentaux sur l’art africain, etc.

Souvent, Chéri Samba nous incite à nous améliorer sur un ton bon enfant. Il fait œuvre de vulgarisation d’une morale et d’une civilité de base. Par exemple, sur une de ses toiles, il représente un adulte ridiculement installé dans l’utérus de sa mère. Il s’agit de dénoncer ceux qui choisissent de ne pas se prendre en charge, pesant sur les autres et contribuant à « la crise ». C’est aussi le cas de cette peinture d’une dame âgée dans le métro parisien à laquelle il cède la place en disant avec une bonhomie un peu décalée : « Mamie, venez prendre ma place, je ne peux pas accepter de vous voir debout. »

Inscriptions

Ses peintures comportent presque toutes des textes en français ou en lingala. Cette pratique peut surprendre en peinture. Cependant, textes et images agissent en synergie dans le domaine de la BD, de l’illustration, de la pub et même dans la tradition de l’estampe. Le poids des mots et la clarté des images dissipent toute ambiguïté.

Les peintures de Chéri Samba sont aux antipodes de ces œuvres contemporaines où l’on peut prétendre fallacieusement voir tout et son contraire. Chaque toile de Samba a son sujet efficace. On ne peut pas y échapper. C’est direct et sans chichis.

Autoportraits

Dernier aspect de son travail, et non des moindres : l’auteur se met volontiers en scène, il devient un personnage de son œuvre. « Quand je peins, s’excuse-t-il, je peux me faire plus beau que je ne suis ! » On comprend qu’il n’est pas dénué d’humour. Il nous est sympathique, aussi et surtout, parce qu’il sait regarder le monde et sa propre vie avec vérité.

À voir absolument : Chéri Samba, dans la collection Jean Pigozzi, Musée Maillol, Paris, à partir du 17 octobre 2023

Article publié dans Artension n°181 – Septembre/Octobre 2023