Une grande exposition « d’intérêt national » présente Francis Chigot (1879-1960) à la Cité du vitrail, à Troyes. Ce maître limougeaud est au vitrail Art nouveau ce que Mucha est à l’affiche.
Art nouveau et Art déco
À la Belle Époque, le vitrail est partout : dans les églises, bien sûr, mais aussi dans nombre de bâtiments civils tels que brasseries, gares, préfectures, thermes, châteaux, immeubles d’habitation, etc. C’est un âge d’or du vitrail. Les frontières entre arts décoratifs et beaux-arts sont abolies. C’est un foisonnement général.
Cette continuité a aussi une dimension sociale. Divers métiers se côtoient et se comprennent. Tous participent peu ou prou de la même culture visuelle. Les jeunes issus du monde ouvrier ou de l’artisanat sont nombreux à profiter des formations mises en place par la IIIe République.
Après la Grande Guerre, Chigot évolue de l’Art nouveau à l’Art déco, jusqu’à pratiquer une géométrisation assez rigoureuse après la Libération

Oubliée la Charte de Venise
Les services des Bâtiments de France lancent, juste avant la guerre, l’idée d’un décor prestigieux et cohérent à Conques. La basilique a en effet perdu presque tous ses vitraux depuis un incendie déclenché par les protestants au xvie siècle. Chigot est choisi, aidé du cartonnier Parrot. Les teintes ocre et les formes géométrisées donnent à l’ensemble une tonalité à la fois puissante et retenue, en accord avec ce lieu. Les travaux s’étaleront de la Libération jusqu’en 1952. Ces 110 vitraux constituent un cycle Art déco d’une exceptionnelle qualité. Disons-le, c’est un chef-d’œuvre.
Jack Lang, peu après avoir été nommé ministre de la Culture, propose à Soulages d’intervenir sur une église de son choix. Il pourra y faire ce qu’il veut. Carte blanche ! Génie oblige ! Sa préférence se porte, en 1986, sur Conques. Oubliée la Charte de Venise (1964), texte international qui, en matière de patrimoine, empêche de détruire pour remplacer ! Un important public et de nombreuses voix qualifiées essayent de s’opposer au projet. Rien n’y fait. Soulages fait déposer les vitraux de Chigot et leur substitue ses très minimalistes verres translucides.
Le génie du vide
Le concept d’église qui prévaut à Conques est désormais celui d’un lieu vide censé aider à faire le vide en soi. Les verres de Soulages mettent en scène, en réalité, une idée récente de la contemplation, une sorte de cliché du développement personnel. Cette conception est anachronique, tout particulièrement s’agissant d’une basilique romane bénédictine, jadis saturée de couleurs et pleine d’histoires en images. La religion dont il est alors question se présente principalement comme un ensemble de récits (Bible, vie des saints, etc.). Les églises anciennes fonctionnent comme des sortes de BD géantes. C’est en s’inscrivant dans cet esprit que Chigot produit ses verrières. La nouvelle conception imposée par Soulages peut être qualifiée de négative (ou encore d’« apophatique ») en ceci qu’elle élimine tout ce qui pourrait rappeler la vie terrestre. Il paraît qu’il faut être mystique pour apprécier.
À voir absolument : Francis Chigot : un monde de lumières, Cité du vitrail, Troyes, jusqu’au 8 mars 2024
Pour approfondir : Ce que maître-verrier veut dire, Francis Chigot, par François Landries et Martine Tandeau de Marsac, éd. Mon Limousin

Article publié dans Artension n°183 – Janvier/Février 2024