Des bordels de Dieppe à la Royal Academy
Le Petit Palais poursuit, exposition après exposition, son entreprise de redécouverte du XXe siècle méconnu. Après la passionnante rétrospective André Devambez, on enchaîne avec Walter Sickert. Précisons que cet accrochage a bénéficié de l’admirable travail de Delphine Lévy (longtemps directrice de Paris Musées), à présent décédée.

Walter Sickert (1860-1942) est anglais, mais il passe une bonne partie de sa vie à Paris et à Dieppe. Il est l’ami de nombre d’artistes français de la Belle Époque, notamment de réalistes comme Jacques-Émile Blanche. Sickert a la physionomie d’un dandy. Cependant, sa peinture est pleine de gravité. Il allie une touche râpeuse et une inspiration souvent sombre. En particulier, fréquentant les bordels, comme beaucoup d’hommes de son temps, il a l’idée de représenter des corps de femmes tarifées affalées sur leurs lits. Ces corps ne sont ni séduisants ni aguicheurs. Ils sont saisis avec réalisme : les poses sont relâchées, voire vulgaires. Une impression d’usure s’en dégage.

Cette dure vérité des corps va contribuer à renouveler l’art du nu, d’abord en Angleterre, puis à l’international. Évoquons d’abord Stanley Spencer (1891-1959) qui se portraiture sans chichis avec ses partenaires sexuelles en mode flapi et désabusé, au point de susciter l’étonnement de Jacques Lacan. Un peu plus tard, Lucian Freud (1922-2011) observe à la fois Spencer et Sickert. Avec Lucian Freud, la vision du corps prend une acuité exceptionnelle. Ces peintres, à leur tour, sont regardés par des artistes figuratifs actuels majeurs. Ainsi, une rétrospective Lucian Freud à New York constitue-t-elle le choc initial qui met en mouvement Liu Xiaodong, artiste chinois né en 1963. Citons aussi Deborah Poynton (née en 1970 en Afrique du Sud) dont le modèle de départ est l’une des peintures de Spencer, le fameux Autoportrait, nu avec sa femme et un gigot. C’est dire que des filiations se dessinent et, avec elles, une autre histoire du XXe siècle, beaucoup plus figurative, beaucoup plus intéressante !
À voir absolument : Walter Sickert, Peindre et transgresser, Petit Palais, Paris, jusqu’au 29 janvier 2023





