FIAC Octobre 2013, Photo par G.Sighele, CC-BY-2.0

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Pierre Lamalattie

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Point final pour la FIAC

Faut-il vraiment la regretter ?

La brusque suppression de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) de Paris, fin janvier, après presque 50 ans d’activité, a surpris tout le monde. Cependant, cette disparition n’est, en réalité, que le résultat d’un long immobilisme dogmatique. Analyse d’un naufrage.

On pensait que la Fiac, créée en 1974 et soutenue par les pouvoirs publics, était indéboulonnable. Elle était le principal événement d’art contemporain en France. L’organisateur, l’Anglo-Néerlandais RX, est « remplacé », apprend-on, par le groupe MCH, responsable de la foire de Bâle. Ce groupe appartient en grande partie au « philanthrope et investisseur » américain James Murdoch, fils du célèbre Ruppert Murdoch.

FIAC Octobre 2013, Photo par G.Sighele, CC-BY-2.0

Encéphalogramme plat

Ce coup de tonnerre n’intervient pas dans un ciel sans nuages. Deux reproches lui étaient faits. Le premier est son immobilisme quasi dogmatique. Les dirigeants appliquaient une stricte orthodoxie à que l’on nomme, par abus de langage, « art contemporain ». Leurs choix étaient dramatiquement peu éclectiques si on les compare à ceux d’autres foires françaises plus vivantes, comme Drawing Now. En particulier, la figuration réaliste, en plein essor, restait indésirable à la Fiac. Nombre de personnes ont été frappées par le contraste entre la petite foire agile et le vieux mastodonte.

Il y a quelques années, déjà perplexe devant cet étrange immobilisme, j’ai demandé à consulter les archives de la Fiac chez l’organisateur. J’ai feuilleté les catalogues sur près de cinquante ans. C’est une expérience que je recommande à ceux qui en auraient la patience. Aussi bizarre que cela paraisse, je n’ai vu pratiquement aucune évolution sur le plan artistique. La principale transformation réside dans le fait que ces catalogues deviennent de plus en plus classieux au fil des décennies. Un aficionado de l’art contemporain serait sans doute très choqué par mon propos et invoquerait toutes sortes de nouveautés qui m’échappent. Cependant, je le répète, moi qui suis en dehors du microcosme, les changements me semblent si minimes que je ne leur trouve pas de consistance. La Fiac était en état d’encéphalogramme plat.

Portion congrue pour les galeries françaises

Le second reproche tient au fait qu’on attendait de cet événement qu’il contribue à la vie économique et sociale du pays, et d’abord, qu’il profite aux galeries françaises. Or la Fiac, plus soucieuse de prestige que d’utilité, faisait un peu trop systématiquement la part belle aux grandes galeries anglo-saxonnes. En outre, contrairement à tant d’acteurs qui ont multiplié les initiatives virtuelles ou réelles pendant la crise du covid, la Fiac a, pour l’essentiel, juste fermé boutique et laissé tomber ses partenaires. Il est vrai que RX subissait des compressions d’effectifs et un arrêt des investissements. Ces éléments avaient d’ailleurs à eux seuls de quoi donner à la RMNGP envie de changer de cheval.

Grand public indésirable

On aurait aussi pu s’attendre à ce que la Fiac soit accueillante avec le public parisien. Telles n’étaient pas les intentions des organisateurs. Ils ont multiplié les facilités, gratuités et cajoleries pour les VIP, mais, visiblement, ils ne voulaient pas des badauds et des landaus. Le prix d’entrée porté à 40 € par personne était dissuasif. Était-ce un tarif décent dans un lieu aussi républicain que le Grand Palais ?

Chaque édition de la Fiac a été soutenue par une communication tonitruante. Aussitôt la foire achevée, des communiqués ont claironné une formidable progression de la fréquentation. Toutefois, d’année en année, la foire plafonnait à 70 000 entrées, ce chiffre étant d’ailleurs, comme on dit pour les manifestations syndicales, « selon les organisateurs ». La dernière édition, pour laquelle on n’a pas hésité à sacrifier un tiers des pelouses du Champ-de-Mars, a enregistré une forte baisse (46 655 visiteurs). On peut penser que c’est à cause de la crise sanitaire. Cependant, la même année, le petit frère de la Fiac, Art Paris, a comptabilisé 72 756 entrées. Les chiffres de la Fiac sont en réalité très mauvais. Les associations d’artistes (Art en Capital), avec leur budget misérable, font de 30 à 40 000 entrées. Les expositions d’art ancien aux Galeries nationales du Grand Palais font en moyenne de 300 à 400 000 entrées, il est vrai pour des durées plus longues.

FIAC Octobre 2013, Photo par G.Sighele, CC-BY-2.0

Situation préoccupante de l’art en France

Évidemment, ces conceptions néfastes s’étendent en France bien au-delà de la Fiac. Croyant sans doute bien faire, le ministère de la Culture et ses réseaux ont imposé une sorte d’art officiel qui a découragé le public. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entrer dans n’importe quelle librairie et de remarquer que le rayon art contemporain a presque disparu au profit des BD, des livres sur le cinéma, la cuisine, la mode, etc. Ce désintérêt contraste avec le fait que les Français aiment toujours l’art (au sens commun) et en font leur première pratique amateure, devant la musique. La taille économique de l’art en France (produit à titre professionnel) est estimée entre un cinquième et un dixième de ce qu’elle est en Allemagne ou en Grande-Bretagne, pays auxquels nous pourrions légitimement nous comparer. Les sources statistiques sont fragiles et indirectes, mais l’écart est significatif. Enfin, dernier aspect et non des moindres, la très grande majorité des artistes résidant en France vivent dans la misère et relèvent des politiques sociales, y compris, souvent, les plus talentueux.

Difficile, dans ces conditions, de regretter la Fiac et de l’entendre plaider « une exception française ». Saluons la décision courageuse et réaliste de la RMNGP. Le nouvel organisateur aura-t-il toutefois une approche plus ouverte de l’art actuel dans sa diversité ? Il est trop tôt pour le dire. Cependant, l’organisation du principal événement artistique en France par un groupe américain a sans doute de quoi alerter ceux qui, comme Aude de Kerros1, se sont inquiétés d’une « géopolitique de l’art » archi-dominée par New York.

1. Aude de Kerros, Art contemporain, manipulation et géopolitique, Eyrolles, 2019