Le Grand Palais est en cours de rénovation et une palissade didactique vient d’être réalisée par un certain Nayel Zeaiter. C’est une sorte de BD déployée sur un kilomètre racontant, en principe, l’histoire de ce lieu. Le graphisme est indiscutablement réussi. En outre, le public entre de plain-pied dans cette forme d’art narratif. Le président de l’établissement (RMNGP), Chris Dercon, est crédible quand il dit que « les jeunes adorent cette palissade ». D’ailleurs, ajoute-t-il, « Emmanuel Macron vient s’y promener de temps en temps et ça a l’air de lui plaire. »
Le récit mis en image est, quant à lui, plus discutable. D’abord, l’artiste déborde largement du sujet. Il développe en format dazibao son opinion personnelle sur l’histoire politique de la France depuis 1900. Il invoque les Paul Vaillant-Couturier, Pierre Overney et autres Frantz Fanon. Le point de vue est militant et, de surcroît, souvent, naïf. Une escarmouche à la Libération ou l’intervention des CRS lors d’une exposition houleuse font figure de bataille de Koursk. Une emphatique galerie des ministres de la Culture est déployée façon mont Rushmore. On a même droit à l’avis de l’artiste sur l’avenir du périph.

Le plus grave est que l’auteur livre au fil des palissades une histoire de l’art qui ne fait place ni au néobaroque ni aux sculpteurs du Grand Palais. Alors que nous sommes sous l’un des quadriges de Récipon, lors de l’inauguration, je demande à Nayel Zeaiter ce qu’il pense de ce groupe emblématique. « C’est pas trop mon truc ! » répond-il sobrement. En réalité, c’est tout l’art du Grand Palais et de la Belle Époque qui n’est pas son truc. Le récit qu’il déroule sous les yeux des passants est entièrement voué aux grands génies habituels, tous hostiles à l’« académisme » : Picasso, Matisse, Brancusi, Duchamp, Léger, Jorn et ainsi de suite jusqu’à Buren. Cette histoire de l’art est accablante de banalité. Elle n’aide pas le public à découvrir les artistes merveilleux auxquels il pourrait prendre plaisir.
On peut se dire qu’après tout ce n’est qu’une palissade et qu’elle sera bientôt taguée. L’essentiel est que le Grand Palais soit restauré dans les règles de l’art. Justement, sur le grand portique, côté est, des sculptures ont été retirées au milieu du xxe siècle. Puisqu’on va dépenser 420 millions d’euros pour la restauration du bâtiment, c’est le moment de les remettre en place. Elles font partie de la façade, même si elles n’y sont pas actuellement. Il y en a trois qui sont localisées et la quatrième est en cours de recherche. On les voit sur Internet, elles sont magnifiques.

Malheureusement, il y a un hic : Chris Dercon, homme de théâtre et d’art contemporain, a envie d’apporter sa touche personnelle au projet. Il voudrait implanter des œuvres actuelles à la place des statues d’époque. Tout le problème est dans cet « à la place de », surtout pour un établissement qui devrait donner l’exemple en matière de restauration. On pourrait, à la rigueur, prévoir une création contemporaine sur l’attique du palais d’Antin dont le groupe d’origine est perdu. On pourrait surtout utiliser les socles prépositionnés au pied de l’escalier du porche est. Ils semblent faits pour ça. À cet endroit, des œuvres contemporaines, détachées de la façade, seraient légitimes et efficaces. En outre, il y aurait plus de place.
Hier, c’était le bassin de Raoul Larche qu’on voulait détruire. À présent, c’est le grand porche qu’on veut réinventer. Décidément, les responsables des monuments historiques ont du mal avec le xixe siècle. Il faut cependant qu’ils revoient leur position. Sinon, lorsque le chantier sera fini, lorsque les gens découvriront la supercherie, cela risque de gâcher la fête.
Article paru dans Artension 170, octobre 2021