BD, illustration, animation, le XXe siècle a vu triompher des formes d’art figuratif plus populaires que jamais. Cette culture, aux antipodes de la modernité et en continuité avec les héritages les plus dénigrés du XIXe, a biberonné les nouveaux peintres figuratifs.
La plupart des artistes figuratifs contemporains connaissent l’art moderne et contemporain. Souvent, ils ont fait des études en école d’art et, dans ces institutions, on n’y coupe pas. Cependant, difficile de ne pas remarquer que ces apports scolaires restent, pour eux, le plus souvent extérieurs. L’univers qui leur tient à cœur, ce sont les images qui ont baigné leur enfance, celles qui leur ont donné du plaisir, qui ont façonné leur sensibilité. On devrait parler d’art maternel comme on parle de langue maternelle. Les nouveaux figuratifs ont été biberonnés par l’illustration, la bande dessinée et l’animation. Il faudrait y ajouter les images issues du cinéma et d’Internet. Par exemple, Neo Rauch ou Makiko Kudo n’ont manifestement pas grand-chose à voir avec l’art muséal officiel : ils sont enfants de l’illustration, de la BD et des mangas.
Extension du domaine de la peinture d’histoire
Rembobinons un peu le film de l’histoire de l’art. Au tournant du XIXe, les peintres d’histoire racontent en images des histoires et visent un public le plus nombreux possible. Logiquement, ils travaillent surtout en grand format pour des lieux fréquentés tels qu’hôtels de ville, mairies, universités, salles de concert, établissements thermaux, etc. L’arrivée de techniques d’impression couleur de qualité va leur permettre d’accéder à un public beaucoup plus large, en produisant des illustrations. La bande dessinée, inventée au début du XIXe, va connaître elle aussi un essor considérable pour les mêmes raisons.

Boutet de Monvel, Larsson et les autres
Le parcours de Louis-Maurice Boutet de Monvel (1850-1913) est de ceux qui permettent de comprendre le passage de la peinture à l’illustration. Cet artiste commence comme peintre de chevalet dans un genre néocaravagesque, puis il devient un « pompier » très imaginatif. C’est en se lançant dans l’illustration (Vie de Jeanne d’Arc, etc.) dans un style clair et teinté d’Art nouveau qu’il accède à une grande notoriété. En parallèle, il poursuit ses peintures murales institutionnelles. Quand on voit des reproductions des unes et des autres, on comprend qu’il s’agit d’un même art, même si nous avons parfois l’habitude de ranger peinture et illustration dans des catégories mentales différentes. Le cas du Suédois Carl Larsson (1853-1919) est très similaire : il produit de beaux albums à grande diffusion sur sa famille et sa maison tout en brossant de vastes peintures institutionnelles (ex. : grand escalier du musée de Stockholm).
Au XXe siècle, la figuration sur papier prend une extension considérable, au point qu’on peut se demander si ce n’est pas le phénomène artistique majeur de cette période, bien plus que la modernité. Des mouvements se développent dans un grand nombre de pays dès la première partie du siècle. Citons aux États-Unis la Brandywine School ou, pour les Russes, d’avant et d’après l’exil, Mir Iskousstva.
Dinosaures et + si affinités
Dans le domaine de l’évolution des espèces, on a en tête la disparition des dinosaures. Cependant, en réalité, ils ne se sont pas véritablement éteints ; ils comptent des descendants parmi nous, et même beaucoup : ce sont les oiseaux. En ce qui concerne l’histoire de l’art, d’aucuns se félicitent de la disparition de ces dinosaures que sont, croit-on, les peintres d’histoire, les « académiques », les « pompiers », etc. Cependant, eux aussi, contrairement à ce que l’on nous dit, ont des descendants, énormément de descendants, il s’agit tout particulièrement des figurations sur papier à grande diffusion. Et elles sont extraordinairement présentes ! Il suffit d’entrer dans n’importe quelle librairie pour remarquer que les livres d’art contemporain intéressent peu et que leur rayon se réduit comme peau de chagrin, alors que les BD et illustrations occupent une place très importante.

Loin des musées, loin des historiens
Comment se fait-il que cette composante majeure de l’art du xxe siècle, souvent de grande qualité, n’ait pas été remarquée et interprétée par les historiens de l’art, ou si peu ? La première raison est technique : on expose difficilement des planches de BD ou d’illustrations dans un musée, pour la simple raison qu’il est bien plus agréable de les découvrir en bouquinant confortablement installé. Or c’est au musée et dans les centres d’art que, à tort ou à raison, se concocte l’histoire de l’art. En sortant de ces nobles institutions, ces artistes figuratifs sont sortis du récit historique.
La seconde raison est encore plus discutable : l’art, s’il est trop populaire, trop partagé, perd sa pernicieuse capacité à nous distinguer du commun des mortels : il nous apporte, certes, un plaisir visuel et narratif, mais il ne flatte plus notre vanité. De là à ne pas figurer dans la culture avec un grand « C », il n’y a qu’un pas.
Novick et Lichtenstein
Un bon exemple de ce genre de situation est celui des planches de super héros d’Irv Novick (1916-2004). Le trait, la narrativité, la composition y sont généralement merveilleusement incisifs. L’auteur, en son temps, enregistre un beau succès populaire, mais ses feuilles, une fois lues, peuvent finir en cornet à frites. Le pop-artiste Roy Lichtenstein voit les choses autrement. Il reprend sans états d’âme certaines planches de Novick en les agrandissant sur des toiles XXL (ex. : Whaam !). Notons qu’il y a malheureusement de la perte en ligne : c’est moins vif, c’est plus « correct ». Mais ce n’est pas grave, car Lichtenstein méprise Novick. Il lui trouve un goût fascisant. Il le regarde au second degré. On explique bientôt que ce qui fait œuvre chez Lichtenstein, c’est ce déplacement d’un usage populaire à un emploi muséal et élitiste. Cependant, aussi détestable que puisse nous apparaître Lichtenstein, c’est bien lui qui accède aux musées, lui qui bénéficie dans la foulée d’une place dans l’histoire de l’art ou dans ce qui en tient lieu.
En conclusion, méfions-nous de l’histoire de l’art et réjouissons-nous d’une meilleure prise en compte par les artistes actuels des héritages figuratifs du XXe siècle.





