Les inscriptions dans la nouvelle peinture figurative

Ces dernières années, on voit apparaître des inscriptions dans un certain nombre de peintures figuratives. Certains y voient un ajout inutile qui dénature la peinture, d’autres une synergie narrative qui actualise une riche tradition.

Pierre Lamalattie , À 21 ans , 2010, technique mixte sur toile , 40 × 40 cm

Un des meilleurs exemples d’inscriptions intégrées à la peinture est apporté par le duo viennois Muntean & Rosenblum (cf. Artension no 149). Ils brossent des scènes énigmatiques en très grand format comportant plusieurs personnages (généralement des adolescents) avec au-dessous, sur toute la largeur, une phrase bien lisible. Par exemple, dans l’une de leurs compositions, on voit trois ados barboter dans une piscine. Au-dessous, on lit : « We must be what we are, that is a necessity, but what are we? » (Nous devons être ce que nous sommes, c’est inévitable, mais que sommes-nous ?). Cette inscription ne vise pas un effet calligraphique ou décoratif. Elle n’est ni une explication ni un commentaire, mais exprime ce que vivent les jeunes baigneurs sous un autre angle qui s’apparente au monologue intérieur. Il se produit ainsi une synergie narrative entre texte et image. On pourrait citer d’autres auteurs tels que Marcin Maciejowski, Rinus Van de Velde, Damien Deroubaix, Filip Markiewicz, etc. [NDLR : et Pierre Lamalattie]

Richesse narrative des cultures populaires

Nombre d’artistes figuratifs contemporains semblent s’intéresser assez peu à l’histoire de l’art savant du XXe siècle telle qu’elle est présentée dans les musées et les manuels. La culture qui les nourrit est, en pratique, plus populaire et constituée de bandes dessinées, d’illustrations, de street art, de pochettes de disques et de cinéma. La synergie du texte et des images y est omniprésente. L’intérêt de certains artistes pour les inscriptions s’enracine principalement dans cet univers.

Damien Deroubaix devant Downfall, 2008 © DR

Tradition narrative, des œuvres sur papier

Il faut mentionner aussi la tradition ancienne des œuvres sur papier, notamment les estampes. Elles comportent très souvent un court texte au-dessous de la partie visuelle et parfois au sein de l’image elle-même. C’est ce qu’on trouve par exemple dans les gravures de Goya, de Jacques Callot et de beaucoup d’autres. Cela correspond probablement à une aspiration profonde de beaucoup d’auteurs un peu bridés en peinture depuis la disparition des phylactères. Les œuvres sur papier bénéficient depuis longtemps d’un statut différent des peintures, permettant plus de liberté. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, elles sont, en effet, rarement encadrées et exposées. Elles restent dans un portfolio que l’amateur sort et consulte à sa guise, un peu comme un livre ou une curiosité. Cela permet des écarts, des bizarreries et une expression sans entraves. Ces œuvres hors de la vue du public offrent donc aux artistes plus de possibilités de s’exprimer à leur guise et beaucoup en profitent pour y introduire du texte. Ils sont les grands ancêtres des inscriptionnistes actuels.

À l’étroit sur les étiquettes

L’habitude de donner un titre aux œuvres (depuis la multiplication des musées) est longtemps la seule possibilité laissée aux artistes d’associer du texte à leurs œuvres. Cependant, le titre inscrit sur une étiquette ou un cartel s’avère une solution très insatisfaisante. D’abord, le titre est souvent redondant avec l’œuvre. Pourquoi, par exemple, écrire « Crucifixion » à côté d’une crucifixion ? Ou encore « Pommes » à côté d’une peinture représentant des pommes ? Dans d’autres cas, le titre est, au contraire, éloigné de l’œuvre et c’est sans doute la configuration la plus critiquable. Si le visiteur doit faire des allers-retours entre un cartel et une peinture qui n’ont pas grand-chose à voir l’un avec l’autre, il a l’impression qu’on lui dit : « Tu n’as rien compris, mais cherche encore, s’il te plaît, et la profondeur de cette œuvre va t’apparaître ! » Créer ce genre de mystère factice, c’est un peu comme remuer une eau pour la rendre trouble et faire croire qu’elle est profonde. Les mystères d’étiquettes sont, en réalité, souvent des mystères bas de gamme.

Quand les artistes ont envie de dire quelque chose – et c’est fréquemment le cas aujourd’hui –, il vaut mieux qu’ils y réfléchissent pour de bon, qu’ils se fassent partiellement écrivains, que l’inscription soit bien trouvée et figure comme partie intégrante de leur œuvre. C’est ce que font de plus en plus de peintres contemporains figuratifs, pour notre plus grand plaisir.

Muntean & Rosenblum, Sans titre 2889, 2018, huile sur toile, 180 × 220 cm

Article paru dans Artension, Mai 2021