Pierre Lamalattie

Une révolution figurative est en cours

A subtle figurative renaissance

J’entends régulièrement des gens se désoler à propos de l’art contemporain officiel. Ils maugréent, ils contestent. Cependant, à un moment ou à un autre, quelqu’un en vient à leur demander : « Si vous n’aimez pas l’art contemporain, que proposez-vous à la place ? » C’est alors la panne sèche ou bien ils produisent des références fades et datées. La plupart des gens n’identifient pas encore l’important mouvement international de renouvellement figuratif qui prend son essor à l’arrière-plan de l’art officiel.

J’ai eu l’impression, en rencontrant les artistes concernés et en découvrant leur biographie, qu’ils relèvent souvent d’un profil type. Il s’agit fréquemment de peintres ayant commencé à dessiner jeunes en étant complètement coupés de l’art contemporain. L’isolement les a protégés de l’acculturation. Par exemple, Justin Mortimer et Lars Elling ont passé une partie de leur jeunesse à l’hôpital et se sont mis à dessiner pour passer le temps. D’autres sont nés dans des milieux sociaux totalement étrangers à l’art. C’est le cas de Markus Åkesson, issu d’une famille de bûcherons, et de Françoise Pétrovitch, d’une lignée de sportifs. J’ai compris que je relevais un peu de la même histoire personnelle, ayant eu une enfance très solitaire où j’ai commencé à peindre tôt, sans contact avec l’art moderne ou contemporain.

Plusieurs tendances contribuent à ce renouveau. La première a le visage d’un minimaliste figuratif. Après les débordements de fantasmes, de matières et de formes artificielles du xxe siècle, on peut observer l’aspiration, assez largement partagée, à une peinture moins bruyante, moins fatigante. Les artistes de ce minimalisme sont un peu comme ces grands malades qui reprennent goût à la vie en savourant de simples pommes de terre à l’eau. Maureen Gallace et Cynthia Daignault ont des sujets volontairement bénins ; c’est le cas aussi de Luc Tuymans, du moins apparemment. Les manières des artistes de cette tendance visent également une certaine économie de moyens. Beaucoup peignent à plat, avec des jus semi-opaques apparentés à la consistance de la gouache. C’est typiquement le cas de Mamma Andersson. En ce qui me concerne, je ne suis pas minimaliste, mais je partage pleinement le rejet d’une peinture trop clinquante et artificielle.

Une deuxième tendance est constituée par ces artistes ayant grandi avec l’illustration et la BD ainsi qu’avec le cinéma et Internet. Pour eux, les images issues de ces univers ont un statut comparable à celui d’une langue maternelle. Il est naturel que cette culture, omniprésente dans leurs vies, porte ses fruits. À l’inverse, l’art muséal occupe à leurs yeux une position savante et extérieure, un peu, toute proportion gardée, comme jadis le latin. On peut citer dans cette famille, par exemple, Makiko Kudo, Hernan Bas ou Neo Rauch. La proximité avec le cinéma pourrait être évoquée avec des noms comme Jonathan Wateridge. En ce qui me concerne, je suis souvent impressionné par le sens de la composition des plans cinématographiques. Par ailleurs, j’apprécie l’idéal de clarté dans l’illustration et la BD, explicitée, par exemple, par la Brandywine School. J’aime bien que mes peintures soient compréhensibles au premier regard, qu’elles produisent une sorte de choc, quitte à ce qu’un approfondissement intervienne ensuite.

Une troisième sensibilité inspire des peintres aimant faire sentir en quoi consiste le simple fait d’exister, d’être présent, de s’occuper. Ces artistes représentent volontiers des personnages se tenant songeurs, voire hébétés dans leur contexte. Il s’agit fréquemment d’un pur oubli de soi ou d’un abandon contemplatif, postures humaines les plus élémentaires. Ils peignent aussi des scènes où un ou plusieurs protagonistes sont accaparés par des tâches manuelles bénignes. L’accent est mis sur l’existence et non sur des actions, ou alors ce sont de microanecdotes presque dérisoires. Citons par exemple Michaël Borremans ou Thierry Carrier. Cette famille recourt de temps à autre à des poses un peu prévisibles, comme ces innombrables personnages regardant leurs mains, mains ayant parfois trempé dans de la peinture colorée. Cependant, même si on peut s’agacer de tics repérables, je pense qu’il est effectivement pertinent d’essayer d’exprimer en priorité le vécu des gens, aussi minime soit-il.

Une quatrième tendance intéressante, quoique moins représentée, est celle des inscriptionnistes. La tradition de la peinture de chevalet laisse rarement place à des inscriptions. Il en est tout autrement, je l’ai dit précédemment, des œuvres sur papier, qu’il s’agisse d’estampes, de BD, d’illustrations ou même de caricatures. Un certain nombre d’artistes reprennent cet usage en peinture et misent sur la synergie entre l’image et un court texte écrit dessus ou juste en bas de celle-ci. De bons exemples sont le duo Muntean et Rosenblum, Damien Deroubaix ou Marcin Maciejowski. En ce qui me concerne, je rédige très souvent des inscriptions et c’est une dimension importante de mes peintures.

Il faut considérer un dernier et vaste groupe caractérisé tout simplement par l’actualisation des grands genres d’autrefois. On assiste ainsi à une nouvelle peinture d’histoire tournée vers les événements de notre temps. Un cas typique est celui d’Adrian Ghenie, avec sa Bataille de tartes à la crème à la chancellerie du Reich, ou encore celui de Ronald Ophuis et de Peter Martensen. Des compositions conjuguant le tragique de la peinture d’histoire et le vérisme de la peinture de genre développent des drames privés à plusieurs personnages. Citons, par exemple, Justin Mortimer, Olivier Larivière, Lars Elling, Jarmo Mäkilä, Julien Spianti, Íñigo Navarro, etc. Plus proches de la peinture de genre au sens strict sont des artistes qui excellent dans une satire parfois mordante. Citons Liu Xiaodong, Servan Sabu ou Xavier Solà Serra. Un versant plus intimiste est incarné par des personnalités comme Jan De Maesschalck.

Notons au passage que le nu, presque proscrit de l’art moderne et contemporain, retrouve ici une place importante. La représentation du corps bénéficie d’approches nouvelles faisant souvent plus de place à sa vulnérabilité. Des artistes comme Julien Spianti, Alexander Tinei ou Deborah Poynton, pour ne citer qu’eux, lui donnent une résonance très actuelle.

En ce qui me concerne, je pratique à la fois le portrait, en faisant des galeries d’hommes et de femmes de notre temps, de petites scènes condensant des moments de la vie d’aujourd’hui et des compositions multipersonnages, avec une intention souvent plus dramatique. J’aime bien que ma peinture puisse exprimer le fond tragique des existences contemporaines en même temps que leur côté comique, voire dérisoire. Si, dans une même peinture, comme le voulait jadis la devise de l’académisme, je pouvais à la fois distraire, émouvoir et faire comprendre, je serais un peintre heureux.

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